Vu le sujet, je crois avoir quelques éléments de réponses à apporter, qui pourront servir à d’autres CHATONS.
La réalité de la modération chez les CHATONS : quels CHATONS sont concernés ? quels services nécessitent de la modération ? combien de temps ça vous prend au regard de la fréquentation du service ? Quels choix de modération ? Situation de modération difficile ?
Plus un CHATONS accueille du monde et plus il a besoin de modération, mais au delà de ça, il y a surtout des services qui en ont besoin. Pour le moment, je n’ai pas souvenir qu’on aie eu trop de demande sur des framadate par exemple.
Les services à ne PAS ouvrir sans avoir auparavant réfléchi à la modération :
- raccourcisseurs d’url (squattés pour des trucs vraiment illégaux genre pishing)
- hébergement d’images (sert au revenge porn, aux images pédophiles etc)
Avec une pondération : si ces services sont accessibles uniquement après être connecté, y’a moins de souci, car il s’agit d’usages clairement illégaux et donc les personnes qui le font cherchent l’anonymat (spoiler, elles ne l’ont pas, mais du coup ça oblige les hébergeurs à se coltiner des demandes judiciaires).
Dans un autre genre, tout ce qui est média sociaux, et là c’est la partie complexe de la modération, ce qu’on avait complètement sous-estimé sur Framasoft. Le problème est amplifié par l’aspect fédération : sur un forum (pas fédéré), on sait quelles règles de bonne conduite on veut, la communauté grandit peu à peu et trouve ses modérateurs au passage, c’est facile. Quand vous ouvrez une instance sur le fediverse, elle est directement connecté à toutes les autres. Donc vous allez avoir antifa et fachistes qui vont potentiellement se retrouver à discuter ensemble via un de vos utilisateurs et ça peut être explosif, mais en plus ça se multiplie par le nombres d’instances, il n’y a pas de montée en charge progressive.
Ne lancez pas un média social sans avoir posé une charte de modération avant. Vraiment. Ça vous évitera des drames… Si vous assumez dès le début le free speech ou au contraire si vous indiquez clairement « ici on modère », certaines instances ne se mettront pas avec vous, il y aura plus de tri, et moins de crises entre humain. Un peu. Car quoi qu’il arrive, il faudra des modos pour les medias sociaux. J’encourage vraiment les chatons à ne pas lancer ce genre de service sur un coup de tête…
Les contours légaux de la modération (obligation de modération, à l’inverse la ligne rouge de la discrimination et du secret des correspondances) et notamment vos interprétations de ces lois
La loi française est assez simple et assez claire et couvre pas mal de choses, pour moi elle suffit à gérer pas mal de choses. Ça pourrait être intéressant de faire une page dans le wiki qui liste les lois qui nous concernent potentiellement en tant qu’hébergeur voire éditeur (yakafokon!). Certains lois passées ces dernières années rajoutent du travail, ceci dit quand on regarde les détails, c’est interprétable, pas forcément si contraignant. On peut aussi questionner la pertinence de ces lois (j’aurais à en dire à titre personnel) MAIS à partir du moment où on est une structure légalement déclarée dans un pays, il me paraît essentiel de respecter les lois de ce pays, même celles qui nous semblent idiotes voir injustes. Ça n’empêche pas des actions individuelles par ailleurs, mais il est vraiment important pour la pérennité d’un projet de différencier la structure et sa propre personne.
Et pour relativiser : malgré la simplicité de ces lois, je ne connais aucun média social, petit ou grand, qui arrive à toutes les respecter. Et pour autant leurs responsables ne sont toujours pas en prison (pas encore, haha !). Bref, c’est important d’essayer de faire les choses bien, mais faut être réaliste : ce n’est pas là qu’on aura le plus vite des ennuis. Il faut juste savoir que certaines choses sont plus vite problématiques que d’autres : jouer avec la propriété intellectuelle ça va, jouer avec l’argent ça va moins bien
La question modération vs liberté d’expression (sujet pas évidents et potentiellement explosif, donc lisez bien ce que les autres écrivent et réfléchissez bien avant d’écrire, soyez explicite dans vos écrits…)
Attention avant de citer Popper. Le plus simple, ne pas le faire, le pauvre homme est tellement mal lu et mal compris qu’il finit par justifier n’importe quoi. Et cette infographie est une illustration de « ne rien comprendre à la philosophie ». Je développerais si ça intéresse du monde, mais j’écris déjà un bon pavé, et pour faire court : sortir Popper, hors contexte, sans le texte original, et lui faire dire n’importe quoi, c’est sortir un argument d’autorité qui décrédibilise le reste de l’intervention :s
Le piège que je vois trop souvent…
Bref, c’est la vraie grande question, dont la réponse se trouve dans votre communauté. Si vous êtes un petit groupe d’amis partageant la même vision du monde, votre charte doit montrer cette vision pour éviter que quelqu’un de trop insupportable pour vous demande à rejoindre le chatons. Si vous avez comme objectif d’accueillir des publics potentiellement fragilisés, votre charte doit protéger ces gens. Si vous aimez faire exploser les trollomètres, votre charte peut aussi le refléter ! La charte, ou les règles de bonne conduite au sein de votre communauté est là pour refléter « qui vous êtes ». C’est acceptable de ne pas vouloir parler à tout le monde (ou pas tout le temps). C’est acceptable de vouloir rencontrer et dialoguer avec les plus lointaines altérités. C’est un choix à faire, et il s’agit moins de liberté d’expression que de décider avec qui vous avez envie d’être en relation. On ne choisit pas sa famille, on peut choisir ses amis
À titre personnel, je navigue entre des communautés « fermées » où je me sens en sécurité pour exprimer des pans de ma personnalité qui ne sont pas « normés », et des communautés ouvertes, voire à l’antipode de mon mode de vie, parce que je redoute fortement ce que je qualifie de « dérives grégaires ». Et je remercie toutes ces communautés d’exister et de me faire une place. Je considère comme normal de ne pas aborder certains sujets, de ne pas pratiquer certains actions dans certaines de ces communautés (vu que je peux le faire ailleurs). Ma liberté d’expression n’est pas en cause, j’ai la possibilité de tout exprimer, mais il y a un lieu pour toute chose.
L’impact sur la santé mentale des modérateurs et modératrices
Point très important à prendre en compte… Et il n’y a pas de solution miracle. Je bosse depuis un moment à essayer de rassembler des ressources sur le sujet, c’est un travail de longue haleine, d’autant que chaque communauté doit trouver ses propres solutions. Le plus important : que les modos aient un espace où discuter entre eux, de tout, sans tabou. Cette socialisation et le fait d’échanger à propos des sujets difficiles permet de mieux traverser les problèmes.